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Traversant la chambre des enfants, je m’apprêtais machinalement à enjamber ma progéniture abrutie d’images et vautrée sur la moquette, pour éteindre le téléviseur barbitural d’où montait sans grâce le beuglement sirupeux d’un chanteur écorché vif; quand soudain, Dieu me turlute, vous m’apparûtes. Vous m’apparûtes, Dorothée, mon amour – Vous permettez que je vous appelle mon amour. Je crus défaillir. Je sentis le fa se dérober sous mes pas, alors que normalement c’est le sol, c’est vous dire à quel point j’étais bouleversé.
Mes bras tremblaient, mes jambes flageolaient au gigot, c’est tellement meilleur, bref mes membres, je veux dire la plupart de mes membres mollissaient. J’aurais voulu tourner le bouton car les boutons sont faits pour qu’on les tourne, sinon ça finit par couiller… rouiller, mais je n’avais de fesse … de cesse … mais j’étais comme figé devant votre visage, ma bien aimée – vous permettez que je vous appelle ma bien aimée! – La pétillante exhubérance de vos yeux, la troublante malice de votre pipe … la troublante malice de votre bouche à faire l’épître selon Saint Mathieu, l’érotisme acidulé de votre voix de gorge profonde quoiqu’enfantine, mais l’avaleur n’attend pas le nombre des avalés, l’ourlet gracile de vos oreilles sans poil aux lobes, la finesse angélique de votre mou de nez de putain … de votre bout de nez mutin dont la pointe rose se dresse vers la nue comme le goupillon trempé d’amour que Mgr Lefèvre agite à la Sainte-Thérèse…
«Les hommes naissent tous libres et égaux en droits».
Qu’on me pardonne mais c’est une phrase que j’ai beaucoup de mal à dire sans rire. «Les hommes naissent tous libres et égaux en droits», prenons cette femme, c’est une image madame, loin de moi l’idée de vous prendre ici dans ce box trop exigu pour les 181 cm de splendeur nacrée qui compose, en tout bien tout honneur, votre principale source de revenus. Prenons cette femme, elle est belle. La beauté. Existe t-il un privilège plus totalement exorbitant que la beauté ? Par sa beauté, cette femme, n’est-elle pas un petit peu plus libre et un petit peu plus égale dans le grand combat pour survivre que la moyenne des homos-sapiens qui passent leur vie à se courir après la queue en attendant la mort ? Quel profond imbécile aurait l’outrecuidance de soutenir au nom des grands principes révolutionnaires que l’immonde boudin trapu qui m’a collé une contredanse, tout à l’heure, possède les mêmes armes pour asseoir son bonheur terrestre que cette grande fille féline aux charmes troubles où l’œil se pose et chancelle avec une bienveillante lubricité contenue, difficilement contenue…
Qu’un être du sexe opposé au mien me jette à l’âme la fulgurante éclaboussure de son gai désespoir et je craque. Comme un teckel trop bas derrière une levrette affolante, je cours en haletant derrière la femme d’esprit.
Si la virilité c’est le foot, la bagnole, la boxe et la guerre, je ne me sens pas du tout viril, je me sens très féminin et je me plais beaucoup plus dans la compagnie des femmes pour bien des activités, y compris pour faire l’amour, que dans la compagnie des hommes.
Dessin : Mahi Grand (http://mahigrand.net/)
"Je ne serai jamais féministe convaincu. Les femmes du MLF m’emmerdent, mais tous les militants m’ennuient, tous les gens qui croient détenir une certitude m’ennuient, c’est vrai quand même que l’anti-féminisme c’est un racisme aussi stupide que tous les autres. Il a été décidé que les femmes étaient des êtres inférieurs. Bon, c’est vrai qu’elles courent moins vite sur le cent mètres mais c’est bien la seule infériorité qu’elles ont sur les mâles…"
Est-ce que les femmes vous arrêtent dans la rue ?
Oui c’est arrivé. Pendant la diffusion de Cyclopède, je descendais les Champs-Élysées, on me claque la main aux fesses. Je me retourne et je vois une fille superbe qui me dit : « Étonnant, non ? »! celle-là, je l’aurais bien emmenée huit jours sur mon bateau à voile.
Dessin : Mahi Grand (http://mahigrand.net/)
Les femmes n’ont jamais eu envie de porter un fusil, pour moi c’est quand même un signe d’élégance morale.
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Est-il Dieu possible, en pleine mouvance des droits de la femme, que des bougresses se plient encore aux ordres fascisants d’une espèce de Ubu prostatique de la mode, qui au lieu de crever de honte dans son anachronisme, continue de leur imposer le carcan chiffonneux de ses fantasmes étriqués, et cela, jusqu’au fin fond populaire de nos plus mornes Prisunic ?
Je t’en prie, ma femme, ma sœur, mon amour, mets ton jean, ou reste nue, mais ne marche pas dans la mode, ça porte malheur.
Remarquons au passage que si l’on dit « les animaux » au pluriel, on dit « l’homme » au singulier. Parce que l’homme est unique. De même, nous dirons que les animaux font des crottes, alors que l’homme sème la merde. L’homme est un être doué d’intelligence. Sans son intelligence, il jouerait dans l’herbe ou ferait des bulles au lieu de penser au printemps dans les embouteillages.
Grâce à son intelligence, l’homme peut visser des boulons chez Renault jusqu’à soixante ans sans tirer sur sa laisse. Il arrive aussi, mais moins souvent, que l’homme utilise son intelligence pour donner à l’humanité la possibilité de se détruire en une seconde. On dit alors qu’il est supérieurement intelligent. C’est le cas de M. Einstein, qui est malheureusement mort trop tard, ou de M. Sakharov, qui s’est converti dans l’humanisme enfermé, trop tard également. (…)
Dessin : Mahi Grand (http://mahigrand.net/)
Bien plus que le costume trois pièces ou la pince à vélo, c’est la torture qui permet de distinguer à coup sûr l’homme de la bête.
C’était il y a longtemps, longtemps, avant que l’homme blanc ne vienne troubler le calme lourd des chauds plateaux du Sud avec ses clairons d’orgueil et son attirail à défricher les consciences. Un sommeil de plomb tombait droit sur le Nil Blanc où les bêtes écrasées de chaleur venaient se tremper la tête jusqu’au garrot pour boire goulûment l’eau tiède et marécageuse. Au risque de se noyer, quelques oiseaux passereux s’ébrouaient violemment dans la purée boueuse, à la frange glauque du fleuve. Au loin, un petit chien sauvage égaré dans les herbes grillées de soleil hurlait, la gorge sèche, la plainte infinie des agonies brûlantes.Au beau milieu du fleuve, totalement irréfutables, deux énormes hippopotames ne laissaient paraître aux regards que les masses immobiles de leurs dos gris jaunâtre au cuir craquelé de boues éparses et d’algues mortes. Seuls, paisibles, au milieu de toute cette faune abrutie de torpeur torride, les deux balourds faisaient des bulles.
Mais qu’on ne s’y trompe pas. L’hippopotame n’est pas qu’un tas de lard essoufflé. L’hippopotame pense. L’hippopotame est intelligent. Et justement, tandis qu’un gros nuage porteur de pluies improbables venait ternir un instant l’éclat métallique de ce soleil d’enfer, l’un des deux mastodontes émergea soudain des eaux sombres son incroyable trogne mafflue de cheval bouffi. Ses immenses naseaux sans fond se mirent à frémir et à recracher des trombes d’eau dans un éternuement obscène et fracassant. Puis il se mit à bâiller. C’était un bâillement cérémonial, lent et majestueux, qui lui déchira la gueule en deux, aux limites de l’éclatement, en même temps qu’étincelait l’ivoire blanc de sa bouche béante et que montait aux nues son beuglement sauvage. Presque aussitôt, le second hippopotame, à son tour, sortit sa tête de l’eau en s’ébrouant frénétiquement. Puis les deux mastodontes se regardèrent longuement, à travers leurs longs cils nacrés.Alors après avoir humé prudemment de gauche et de droite l’air saturé de chaleur électrique, le premier hippopotame dit à l’autre :
- C’est marrant. Je n’arrive pas à me faire à l’idée qu’on est déjà jeudi.
Le but de l’homme moderne sur cette terre est à l’évidence de s’agiter sans réfléchir dans tous les sens, afin de pouvoir dire fièrement, à l’heure de sa mort : « Je n’ai pas perdu mon temps. »
Dessin : Mahi Grand (http://mahigrand.net/)
« Je pense tout le temps au vieillissement et la seule certitude qu’on ait c’est que tout ça finit mal. Jai 48 ans et ça fait deux ans que je porte des lunettes comme presbyte. C’est un des premiers signes de sénilité, avant les cheveux gris… »
Quel est pour vous le comble de la bêtise ?
C’est de croire à une quelconque utilité de la vie. C’est ce qui fait bouger tout le monde, les gens ne bougent que pour ça.
Vous êtes complètement désabusé.
Assez. Je suis assez désabusé et encore le mot est faible !
Une remarquable imbécile cogna l’autre jour à mon huis (…) quand ma fille cadette, qui va sur ses six ans sans s’arrêter de courir après les indiens, lui déboula dans l’entrejambe à la suite d’une fausse manœuvre de son vaisseau spatial…
- Hi, hi,hi comme elle est mignonne ! …
Et à moi :
- Alala qu’est-ce qu’elle a grandi depuis la rentrée !
- Mais non » lui dis-je. « Mais non, elle n’a pas grandi. Elle a vieilli. Elle est de plus en plus vieille. Elle a perdu ses premières dents. D’accord elles vont repousser, mais après ? Fini….
Donc, d’après toi il n’y a pas de danger de grosse tête, de mégalomanie…
De grosse tête ! Je ne me prends pas pour de la merde. Je ne me prends pas pour quelqu’un de passionnant mais à partir du moment où on fait un métier public et que ça marche, on est content. Si c’est ça avoir la grosse tête… Non, la grosse tète, c’est quand on se surestime. Je ne sais pas si je me surestime, mais je ne me méprise pas complètement dans ce que je fais.
Je ne me prends pas pour quelqu’un de passionnant mais à partir du moment où on fait un métier public et que ça marche, on est content. Si c’est ça avoir la grosse tête… Non, la grosse tète, c’est quand on se surestime. Je ne sais pas si je me surestime, mais je ne me méprise pas complètement dans ce que je fais.
« Je me sens bien dans ma peau maintenant que j’ai quarante-sept ans. Ce n’est pas quelque chose que j’ai senti à chaque époque de ma vie. Et quand je fais un retour en arrière, je n’ai aucun regret … La jeunesse, pour moi, ça représente des boutons sur la gueule… Un malaise, c’est une idée de malaise.
J’ai été un adolescent boutonneux, boursouflé d’acné et d’amour raté … C’est une période triste où je n’étais pas décisionnaire de ce que je faisais alors que je suis très individualiste, très indépendant. Je dépendais de ma famille, de mes maîtres… L’enfance, je n’aimais pas, je me suis emmerdé."
Pierre Desproges n’aimait pas les enfants. Ni les femmes. Ni les hommes. Ni les Auvergnats. Comment aurait-il pu ? Il savait d’expérience qu’il existe des enfants avares, des femmes lâches, des hommes garces et des Auvergnats capricieux. Pierre Desproges était un être singulier. Je ne veux pas seulement dire qu’il ne ressemblait à personne, mais aussi qu’il pensait, sentait, aimait, rejetait au cas par cas. Il n’était pas antiraciste. Il était a-raciste. (Pour ceux et celles qui auraient fait leurs études sous Jack Lang, le a- de a-raciste vient de l’alpha privatif grec et signifie l’absence).
« Le pluriel ne vaut rien à l’homme », chantait son cher Brassens. C’est l’une des rares choses dont Pierre était sûr, lui qui cultivait le doute et qui abominait ceux qui moulinaient des certitudes. On regrettera vivement que sa veuve et ses orphelines n’aient pas pensé, lors de l’autopsie, à faire vérifier que l’incapacité congénitale de leur seigneur et maître à penser par catégories ne venait pas d’une particularité physiologique rare, d’un gène peu répandu ou de l’excroissance de telle ou telle glande. On aurait pu tenter une greffe, réaliser une transplantation d’organe,entreprendre une manipulation génétique. L’incapacité congénitale à penser par catégories dont était atteint Desproges est, en effet, d’une rareté proportionnelle à son utilité et même à sa nécessité. Surtout ces temps-ci.
Pierre Desproges particularisait. Ceux qui généralisent lui foutaient les jetons. C’est pourquoi il leur envoyait des flèches. Il en envoya une bordée à Anne Sinclair lorsqu’elle déclara qu’elle n’aurait pas pu aimer Ivan Levaï s’il n’avait pas été juif. Il entendait qu’Ivan Levaï puisse être ou devenir arabe, peau-rouge ou costarmoricain sans avoir à renoncer à l’amour d’Anne Sinclair. La pensée d’un monde où l’on se promènerait en fonction de son étiquette lui mettait la rate au court-bouillon. Et, comme il avait gardé de la culture limougeaude dont il était issu (la culture, pas la race) un réflexe de méfiance, il soupçonnait que, derrière la pensée par catégories, il y avait quelques manipulations qui profitaient à des profiteurs. Derrière les jeunophiles, il flairait l’avidité des marchands de marchandises. Bien avant la presse et les juges d’instruction, il avait observé parmi les amis auto-proclamés du genre humain des aigrefins ivres d’amour d’eux-mêmes, de goût de l’argent et du pouvoir. Parmi ceux-là, il avait repéré des antiracistes professionnels faisant carrière sur l’exhibition de leur belle âme. C’est qu’il avait l’œil, Pierre Desproges, et, comme je viens d’avoir l’honneur de vous le dire, un œil qui faisait le détail. Ce n’est que l’une des raisons pour lesquelles il nous manque.
Je relisais Juifs et Français d’Harris et Sédouy1. Les auteurs demandaient à une grande journaliste très belle et pleine de talent (que ma discrétion m’interdit de nommer ici) si elle aurait épousé Ivan Levaï dans le cas où ce dernier n’eût pas appartenu comme elle à la communauté israélite. Cette dame a répondu que non, qu’elle n’aurait probablement pas pu tomber amoureuse d’un non-Juif. Je comprends aisément cette attitude qu’on pourrait un peu hâtivement taxer de racisme.
Moi-même, qui suis Limousin, j’ai complètement raté mon couple parce que j’ai épousé une non-Limousine. Une Vendéenne. Les Vendéens ne sont pas des gens comme nous. Il y a le barrage des patois, fort lointains. Et puis nos coutumes divergent et divergent c’est énorme.
Voilà une femme qui mange du poisson le vendredi en tailleur Chanel. Moi je mange de la viande le mardi en pantalon de coton. Il n’y a pas de compréhension possible.
Nous avons notre sensibilité limousine. Nous avons bien sûr notre humour limousin qui n’appartient qu’à nous. Nous partageons entre nous une certaine angoisse de la porcelaine peu perméable aux Chouans.
Il faut avoir souffert à Limoges pour comprendre.
1.Grasset, 1979
Françaises, Français,
Belges, Belges, Bougnoules, Bougnoules,
Fascistes de droite, Fascistes de gauche,
Mon président, mon chien,
Monsieur l’avocat le plus bas d’Inter,
Mesdames et messieurs les jurés
Public chéri mon amour,
Bonjour ma colère, salut ma hargne et mon courroux… coucou
L’homme qui stagne aujourd’hui sur ce ban de l’infamie où le cul du gratin s’écrasa avant le sien, cet homme, mesdames et messieurs les jurés, ce morne quinquagénaire gorgé de vin rouge et boursouflé d’idées reçues, présente à nos yeux blasés qui en ont tant vu qu’ils sont devenus gris, la particularité singulière, bonjour les pléonasmes, d’être le seul gauchiste d’extrême droite de France.